Un peu de géométrie – partie 3

Hier j’ai parlé des origines de la géométrie. Aujourd’hui, j’y reviens dans l’art de la zellige.

Nous allons dans cette partie commencer à calculer les angles. Savez-vous d’où viennent les degrés que l’on utilise pour la mesure d’un angle ? Encore une fois des babyloniens.

Ceci est la suite de l’article Un peu de géométrie – partie 2

360 est un multiple de 60 qui était leur nombre fétiche si on peut dire. Il suffit de regarder les diviseurs de 60 pour s’apercevoir de l’intérêt de ce nombre : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 10, 12, 15, 20, 30 et 60. Ce nombre est resté tel quel ou modifié pour plus de précision dans pas mal de domaines liés au temps et à l’espace. à l’espace d’abord car on séparait alors une année en 360 jours, c’est-à-dire approximativement d’une position du ciel à la même position un an après. On a donc ici l’origine de la longueur d’une année — et je ne vois pas comment on pourrait faire autrement puisque cela correspond bien au nombre de journées réelles d’une année (oui bon on passe sur les 5-6 jours qui manquent à l’appel). Puis le temps, le jour divisé de même façon en 6 parties, trois de jours et trois de nuit. — avec malgré tout un gros problème puisque ces périodes étant basées sur le lever et le coucher du soleil n’avait pas la même durée en été et en hiver. De 6 périodes par jour, on est passé à 12 puis à 24 par soucis de précision sans plus se soucier du moment de la journée et de l’année pour leur donner un temps identique . Ces valeurs sont restées dans l’usage jusqu’à nos jours et ont été adoptées par l’ensemble des civilisations occidentales et orientales relativement tôt. Les 24 séparations qu’on appelle maintenant heures sont séparées elles-même en 60 minutes qui sont séparées en 60 secondes. et on a donc l’origine de nos unités de temps. Comme ces notions sont imbriquées dès le départ avec les notions d’espace (là encore ce mot d’espace est à double usage entre l’espace en tant que ce qui se trouve dans le ciel et l’espace en tant que volume ou surface quelconque.

Voici une petite astuce concernant le nombre 6 : 6 est à la fois le produit de ces diviseurs que la somme de ceux-ci.

  • 1 * 2 * 3 = 6
  • 1 + 2 + 3 = 6

On a donc maintenant notre année approximative dont les jours sont devenus les degrés de nos rapporteurs et il est intéressant de noter que les parties de degrés sont des minutes et les parties de minutes sont les secondes de la même façon que pour le calcul du temps.

Cette façon de calculer les angles et le temps d’une journée est parvenue jusqu’à nous en traversant plus de cinq millénaires. Par contre pour les jours de l’année, il y a eu deux modifications majeures dans la méthode de calcul qui ont éloigné cette notion des valeurs d’origine de 6, 60 et 360 (voir l’article histoire de calendrier dont je viens de m’apercevoir, quatre ans après sa mise en ligne, que son numéro de page dans le blog est 365 !!!).

Pour compléter cette information sur les unités de temps et d’espace, je parlerai succinctement de la semaine. La durée de la semaine a été calquée sur la durée de la rotation de la lune autour de la terre. La lune fait le tour de la terre entre 27 et 28 jours. Si on a l’impression que la lune est plus rapide, ce n’est que parce que la terre tourne sur elle-même en 24 heures et que par contre la lune ne suit pas cette rotation mais lambine. C’est aussi ce qui fait qu’on voit la lune de tout endroit sur terre. Si la lune suivait le mouvement rotatif de la terre alors il n’y aurait que l’endroit qu’elle survole qui en profiterait. Cette durée de rotation a permis aux babyloniens la création des semaines en relation avec les phases de celle-ci. Chaque phase correspondant à 7 jours environ a donné corps à notre semaine. Cela a été repris par les grecs et chez les romains, chaque jour est dédié à ce qu’on pensait être des planètes à l’époque, soit : la Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Venus, Saturne et le Soleil ce qui est encore d’actualité de nos jours.

En dernier, les mois sont une sous partie de l’année et le nombre de jours est là aussi à la base un diviseur de 60. Si maintenant ils sont plus ou moins longs ou courts, on le doit aux romains, à la réforme du calendrier julien et à la susceptibilité de leurs empereurs. Après la révolution française on a essayé de faire un calendrier plus égalitaire avec des mois de 30 jours, des semaines en décades mais l’épreuve a été de courte durée; un jour de repos pour dix jours plutôt que un sur sept n’a pas dû faire l’unanimité. Il serait intéressant malgré tout de refaire actuellement un calendrier basé sur les particularités des saisons afin de consommer local et de saison plutôt que d’avoir affaire à des saints dont plus personne ne connaît les faits d’armes (j’aime bien cette expression contradictoire, en opposition avec leur statut de saint) mais chacun aime qu’on lui souhaite sa fête et qu’on flatte son ego.

Bon je reviens à la Mésopotamie. Les mois mésopotamiens étaient basés aussi sur les cycles de la lune mais si la semaine est basée sur le cycle sidéral de la lune (position de la lune dans le ciel étoilé), le mois était lui basé sur le cycle synodique, c’est-à-dire sur le retour à la même position par rapport au soleil. De 27,322 jours on passe à environ 29,5 jours (on arrondit à 30 bien sûr). Les mésopotamiens  ont bien sûr eu beaucoup de problèmes à gérer un calendrier fait sur des valeurs différentes et ce problème a duré 3 000 ans (voir en référence l’article Wikipedia sur le calendrier mésopotamien).

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Maintenant qu’on connaît l’origine des degrés, on peut commencer à les utiliser pour nos exemples.

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Dans le graphique ci-dessus j’ai repris nos deux triangles tête-bêche et j’ai dessiné quelques lignes partant de quelques-uns de leurs points caractéristiques. Ces lignes étant espacées en utilisant à chaque fois une rotation de 15 degrés. On s’aperçoit que si pour les lignes passant par le centre de la forme, les lignes tous les trente degrés (0°, 30°, 60°, 90°, …) passent bien au minimum par un point caractéristique. Ce n’est pas le cas pour les angles intermédiaires. Si on étend cela à l’ensemble des lignes dessinées, on a la même chose pour les autres points dessinées. On en déduit que les lignes en décalage (15°, 45°, 75°, …) ne sont pas significatives pour notre exemple.

Ci-dessous j’ai utilisé une autre méthode pour afficher les points importants. J’ai tracé les lignes verticales et horizontales passant pas les points caractéristiques. J’ai fait la même chose pour les angles de 60° et -60°. Cela nous donne un réseau de lignes et de points sur et en dehors de nos triangles et on s’aperçoit bien à la fois de la trame en triangle…

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… et des points complémentaires pouvant être utiles à l’élaboration d’un motif. L’utilisation de la méthode traditionnelle au compas vient, elle, confirmer les positions et nous donner d’autres informations qui seront utiles à la construction future d’un motif.

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Le dernier dessin de l’article précédent affichait la construction d’un carré; je vais le reprendre ici comme deuxième exemple à une construction géométrique.

Nous allons faire comme avec le triangle et mettre sur sa pointe un deuxième carré. Nous dessinons les traits directeur mais ici il y en a beaucoup moins que pour le triangle, ce qui est étonnant car on a plus de points déterminants comme appui de notre dessin. On passe de 18 points (12 sommets d’angles et 8 point centre des segments) à 24 points (16 sommets et 8 centres).

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Par contre, en utilisant la méthode du compas, j’obtiens vite un nombre de cercles impressionnants mais si je limite ceux-ci, je peux obtenir divers dessins intéressants.

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Dans ce cas la technique de mes lignes directrices permet de mettre en avant les points de croisement de ces lignes et certainement sera-ce intéressant lors de la création du motif.

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Nous avons aussi à chaque croisement et cela est inestimable plusieurs angles utilisables dans le placement de nos zelliges. Ici les angles de base sont 0°, 22,5°, 45°, 67,5°, 90°, 112.5°, etc, par pas de 22,5°.

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Ci dessous un aspect intéressant du travail qu’on vient de faire. J’ai reproduit les deux formes précédentes et j’ai simplifié le nombre de repères autour de ces formes. On peut voir qu’un polygone est inscrit dans les deux formes d’origine; ce polygone ayant un nombre de cotés égal au double de cotés de cette forme. Pour un triangle on aura donc un polygone à 6 cotés, un hexagone et pour le carré on aura un polygone à 8 cotés, un octogone. On peut généraliser, je pense, cette trouvaille pour toutes les étoiles faites de deux polygones comme le triangle et le carré ici. Sur les repères extérieurs on peut voir aussi la présence de ce polygone, lui-même inscrit dans notre étoile agrandie, et cela se reproduit encore. Effet qui bien sûr a été utilisé par les artistes d’Al-andalus dans leurs créations pour signifier l’infini.

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Jusqu’à maintenant nous avons vu le passage du trait au triangle et du trait au carré et par extension nous avons défini l’hexagone et l’octogone. mais il y a une forme importante pour le dessin de zelliges que nous n’avons pas encore vu. Cette forme est plus compliquée à dessiner que nos deux premières. La prochaine partie traitera donc intégralement de cette forme et de sa construction au compas et mathématique. En attendant de la lire, je vous amène à consulter les articles en références ou alors LE livre de référence de la géométrie, ils s’agit des Élements d’Euclide dont je vous donne quelques liens de téléchargements dans les références. Il est intéressant d’avoir une version commentée servant à la compréhension du texte, j’ai mis celle de Bernard Vitrac et pour une version non commentée celle de François Peyrard de 1804 (petit clin d’œil car elle a été éditée pendant la période du calendrier républicain). Il est à noter que ces deux personnes ont un parcours similaire avec 200 ans d’écart de mathématicien et de traducteur de grec ancien et par la même l’étude des classiques des mathématiques.

Suite de l’article ici : Un peu de géométrie – partie 4

références :

Observation de la Lune depuis la Terre, orbite et phases de la Lune par Olivier Dequincey et Delphine Chareyron https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/observation-cycle-Lune.xml

Calendrier mésopotamien : https://fr.wikipedia.org/wiki/Calendrier_m%C3%A9sopotamien

Calendrier républicain : https://fr.wikipedia.org/wiki/Calendrier_r%C3%A9publicain

Bernard Vitrac :

François Peyrard :