Connaissez-vous Jules Bourgoin ?
Il est intéressant de savoir que ce grand homme français est peut-être moins connu en France qu’aux Amériques (oui je parle des États-Unis) car on y trouve des livres sur son travail alors qu’en France… Si vous avez un tant soit peu pu avoir connaissance de ce personnage, c’est que vous êtes dans le domaine de l’architecture ou de la décoration et du design ou encore de l’histoire ou de l’archéologie. Je pense qu’en dehors de ces catégories, personne ou presque ne connaît Jules Bourgoin.
Quand-a-t-il vécu ? Que faisait-il ?
Jules Bourgoin est né en 1938 en Yonne. Il est mort dans le même département en 1908. Comme de son vivant c’était quelqu’un d’assez taciturne, on connait peu de choses de sa jeunesse. Il a été admis en seconde classe d’architecte à l’École des beaux-arts de Paris en 1959 et a eu son diplôme en 1860. Dès 1963 il fait partie d’une mission de l’état français pour la rénovation du consulat de France à Alexandrie (Égypte). Je pense que c’est là-bas qu’il a commencé son œuvre en dessinant les motifs des bâtiments historiques de ce pays. Jusqu’à la fin de sa vie il continuera dans cette voie et à part quelques travaux d’architecture (et plutôt de décorations intérieures) il exercera peu son métier d’architecte au profit d’un travail de collecte des motifs orientaux et de pays comme l’Italie ou la Grèce. Il en a tiré une solide connaissance qu’il a enseigné entre autre dans l’école où il a fait ses études et aussi par des conférences à Lyon ou à Roubaix, mais surtout par l’écriture de plusieurs livres sur les arts arabes puis sur l’ornement (Théorie de l’ornement – 1873) pour peut-être donner naissance à une nouvelle discipline du XXe siècle les Arts Graphiques. C’est d’ailleurs le titre de son dernier ouvrage ‘La Graphique’ paru suite au projet avorté de conférences auprès des dessinateurs Lyonnais.
La qualité des multiples dessins qu’il référencés dans ses écrits en font aussi un précurseur d’une autre discipline — l’archéologie — et il a par ceux-ci sauvegardé pour nos yeux ébahis la beauté de multiples bâtiments détruits en Égypte à une époque où la modernisation des villes a provoqué la perte de nombreux trésors d’architecture arabe.
Je vous laisse lire quelques références à son sujet dans les liens sont en dessous de cet article.
Comment l’ai-je connu ?
Il est intéressant de voir qu’une simple recherche d’une fleur sur internet peut nous amener à découvrir l’arbre qui domine la forêt et c’est un peu ce qui m’est arrivé avec Bourgoin. En recherchant de la documentation sur les zelliges arabo-andalouses dont la plupart des noms arabes et leur traduction me sont inconnus je suis tombé sur l’œuvre de Jules Bourgoin. Une œuvre plus mathématique et synthétique que tout ce que j’ai pu voir auparavant. Le travail des planches de “Les éléments de l’art arabe – Le trait des entrelacs” est merveilleux car il rejoint mon propre travail autour de la même matière. J’ai par contre beaucoup de mal à m’y retrouver dans sa façon d’élever les motifs sur le papier. Le langage particulier au XIXe de la mathématique ou plutôt de la géométrie font que chaque description qu’il fait de la réalisation d’un motif est casse-tête pour moi. La reproduction que j’ai de son livre manque de détails; peu de pages représente les motifs géométriques sur lesquels il construit son épure et donc je dois tout traduire et construire par petite touche. J’ai voulu prendre en premier le motif n° 48 dont vous avez la reproduction ci-dessous mais je suis encore à chercher comment passer de ce que j’ai pu en comprendre et l’entrelacs qui en ressort. Je me suis donc attelé à celui qui est le plus simple… enfin dont je pense qu’il est le plus simple : le numéro 1. Je vais donc essayer de vous traduire ici du mieux que je peux ce que j’en ai déduit et comment le construire de façon moderne.
En voici le texte :
“Pl. 1. — Plan trigone. — Des trois sommets du trigone, décrire des circonférences égales et tangentes, les subdiviser en 6 parties égales et joindre les points de division de 2 en 2. — Deux sortes de figures assemblées : l’hexagone convexe et l’étoile hexagonale.“
‘Pl.1‘ : pas trop de soucis à se faire ici, ce n’est que ‘planche numéro 1’.
‘Plan trigone‘ : trigone correspond à un triangle équilatéral dont on remplit le plan. Il suffit donc de dessiner sur la page des triangles et d’en emplir le plan.
‘Décrire des circonférences égales et tangentes‘ : déjà, là il nous manque des informations qui nous sont utiles. Si on prend la phrase indépendamment d’autre chose on peut en déduire ceci ‘circonférence‘ = ‘cercle‘ donc il nous faut dessiner des cercles puis on a ‘égales‘ donc les cercles doivent tous être identiques et finalement ‘tangentes‘ ce qui doit vouloir dire que chaque cercle est collé à un ou plusieurs autres par l’un de leurs points qu’on nommera point tangent.
Bon voilà, c’est bien, mais quel est le rayon de ces cercles et quels sont leurs centres ? Si on reprend notre premier élément de dessin qui est un triangle on va matcher : ‘triangle‘ -> ‘cercle‘, ‘cercle‘ -> ‘triangle‘. Eurêka ! j’ai trouvé. Les centres des cercles sont les sommets des triangles et pour que les cercles soient tangents alors le rayon de chaque cercle devra faire la moitié d’un des côtés du triangle. Voilà je peux maintenant dessiner mes cercles.
On passe à l’élément suivant : ‘les subdiviser en 6 parties égales‘. Ici on parle de couper nos cercles en 6. C’est relativement simple. Il suffit de placer son compas sur l’un des points tangents et de prendre comme rayon la distance menant à un deuxième point tangent sur le même trigone (et ceci uniquement parce notre triangle est équilatéral et donc que ces angles sont tous à 60° qui est de fait un sixième de notre cercle complet de 360°). On obtient ainsi pour l’occasion les deux premiers points sur notre cercle. Ensuite on continuera à marquer ces divisions en sautant au point précédemment marqué et de poursuivre d’y mettre les marques des points suivants jusqu’à avoir fait le tour du cercle. On peut prendre comme rayon de départ deux points situés au centre des côtés de notre triangle lesquels pourraient former le troisième coté d’un triangle équilatéral dont les sommets sont le sommet du trigone de départ et le milieu des deux cotés adjacent de ce trigone; on a donc un angle à 60 degrés et deux cotés identiques; le troisième coté est lui aussi identique, on l’a défini.
Maintenant que nos cercles sont marqués de leur six points donc en ‘6 divisions‘ on peut continuer à la proposition suivante : ‘joindre les points de division de 2 en 2‘ : Ici la seule chose à faire est de tirer des traits entre chaque point du cercle qu’on a dessiné. ‘De 2 en 2‘ signifiant que l’on prend uniquement les points adjacents sur ce cercle. ‘De 3 en 3‘ aurait voulu dire en lassant un point d’écart… À ce stade, on obtient donc dans chaque cercle dessiné des hexagones lesquels sont séparés par des triangles si je ne me trompe pas.
Pourtant Jules Bourgoin nous dit ‘Deux sortes de figures assemblées : l’hexagone convexe et l’étoile hexagonale.‘ : là un tout petit peu de réflexion s’impose. On a lu son énoncé au pied de la lettre et ce n’est qu’à la fin qu’il annonce la couleur. en fait il aurait suffi de dessiner les hexagones dans seulement deux cercles sur trois pour obtenir ‘l’hexagone convexe‘ dont il parle (deux en fait). La deuxième figure étant, si on ne prend que le dessin qu’il nous a dit de faire que le “plancher” supportant ‘l’étoile concave’ laquelle est formée de notre troisième hexagone convexe (non dessiné) et des triangles équilatéraux qui tournent autour et viennent ajouter à notre hexagone (toujours le même) les pointes de l’étoile.
Maintenant qu’on a la forme de base de notre épure il suffira de recopier ce motif autour de notre motif de base et de continuer progressivement vers les bords de notre plan de dessin pour obtenir au final la même chose que Jules Bourgoin. Les artisans arabes qui ont dessiné ces motifs n’ont pas utilisé d’autre technique qu’ils ont hérités de leur ancêtres depuis au moins 1 000 ou même 1 500 ans avant de les dessiner puisque certainement ces techniques venants des grecs puis des romains mais peut-être encore plus anciennes ont perduré dans le temps pour atteindre une apogée (mais pas la seule avec les monuments arabes).
Ce qui a certainement été primordial à cette évolution de la mosaïque est certainement l’interdiction par l’islam de la représentation de l’homme par les autorités religieuses dans ces pays. Pourtant cette interdiction toujours soutenue par la plus haute autorité sunnite d’Egypte, l’université Al Azhar qui est considérée comme l’un des plus anciens lieux d’enseignement islamiques au monde, fait polémique actuellement à cause d’éléments historiques contredisants cette interdiction (voir article en référence).
On revient à nos moutons, cette étude de texte (un tout petit paragraphe) effectuée, j’en ai déduit 7 phases de construction que je vous indique ici :
- On part du dessin d’un triangle équilatéral.
- De chaque angle de celui-ci, on va dessiner des cercles de même circonférence de façon à ce que chaque cercle soit tangent aux deux autres. Il faut donc que le rayon du cercle soit de la moitié de chaque côté du triangle.
- Ensuite, on subdivise chaque cercle en 6 parties égales. Pour le faire au compas, il suffit de prendre comme 1er et 2e points les points tangents à l’intersection des cercles et du trigone d’en prendre la mesure au compas puis de reporter cette mesure sur les cercles en en faisant le tour.
- On peut ensuite relier ces points de 2 en 2 pour former des hexagones. Sur la figure 4, je n’ai dessiné que les hexagones des cercles B et C.
- Pour faire l’étoile, il suffit ensuite de dupliquer la forme générée (hexagones des cercles B et C) et de les faire glisser ensuite tels que :
- Hexagone B’ tel que B’2 soit glissé sur A5,
- Hexagone B’’ tel que B’’4 sur A1 et B’’3 sur C6
- Hexagone C’ tel que C’3 soit glissé sur A6
- Hexagone C’’ tel que C’’1 sur A4 et C’’2 sur B5
- On obtient par ce procédé deux motifs dont le premier est l’hexagone dessiné en figure 4 et le second l’étoile à 6 branches dite ‘étoile hexagonale‘ dont parle Jules Bourgoin.
- Il ne suffit plus alors qu’à continuer à dupliquer en le déplaçant ce motif afin d’atteindre les bords de notre page pour obtenir notre épure.
Voilà notre motif est dessinée au trait. Ensuite vous pourrez puisque le but final est là en décorer les objets (étoiles et hexagones) afin d’avoir un motif coloré qui vous correspond.
Le livre de Jules Bourgoin contient 190 épures de motifs classés suivants les formes qui sont utilisées dans celles-ci. Son travail correspond à ce qu’il a pu voir dans les pays qu’il a visité et je ne sais pas si ce travail englobe les motifs qu’on peut trouver dans pays qu’il n’a pas visités comme les pays du Maghreb : Tunisie, Algérie et surtout Maroc mais aussi l’Espagne Andalouse et les merveilles de sites classés comme L’Alhambra de Grenade. Mais le travail méthodique qu’il a fait pour les missions qu’il a effectuées pour l’état français l’ont amené à faire un inventaire très utile encore d’actualité que ce soit d’un point de vue graphique, historique ou même archéologique. Je l’en remercie.
Si vous vous intéressez à l’ornement en plus de l’art arabe n’hésitez à parcourir les liens suivants dont la plupart de son œuvre sur gallica.bnf.fr.
Pour ma part, j’ai encore 189 motifs à comprendre et à répliquer. Si vous vous sentez capable de m’aider dans cette tâche n’hésitez pas le but étant d’en faire un livre et un programme informatique (web ou application desktop) avec des fonctionnalités de coloriage et de manipulation de motifs.
références :
Jules Bourgoin sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Bourgoin
Jules Bourgoin. Une vie pour l’ornement par Maryse Bideault : https://books.openedition.org/inha/4582?lang=fr
Jules Bourgoin sur le site de l’INHA : https://www.inha.fr/fr/ressources/publications/publications-numeriques/dictionnaire-critique-des-historiens-de-l-art/bourgoin-jules.html
œuvres de Jules Bourgoin sur Gallica (et de multiples autres trésors) : https://gallica.bnf.fr/services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&query=%28gallica%20all%20%22jules%20bourgoin%22%29&lang=fr&suggest=0
Les représentations humaines dans l’islam : https://www.nouvelobs.com/monde/20060202.OBS4849/les-representations-humaines-dans-l-islam.html#:~:text=%22La%20représentation%20de%20l’être,érigées%20autour%20de%20la%20Kaaba.
Université al-Azhar : https://fr.wikipedia.org/wiki/Université_al-Azhar